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Mort sur commande


Le silence. Je regarde son petit corps meurtri, il repose sans vie devant moi. Recroquevillée, elle n'est plus. Elle ne me troublera plus. Seul le vent du printemps murmure à mes oreilles.

Mais suis-je vraiment responsable de cette mort brutale ? Est-ce moi qui suis venu batifoler ici, ou elle ? Je travaille dur, il ne fallait pas me déranger. À ma table de travail, je voulais rester concentré. J'étudiais la consigne, elle m'a énervé. Convenez-en, déranger un apprenti meurtrier, c'est se suicider par procuration.

Le drame est arrivé alors que j’examinais les cinq instruments proposés comme arme du crime. Mon maître a de ces choix incongrus ! La liste fournie était vraiment sibylline. Trouver les objets adéquats ne fut pas tâche facile. Enfin, j'avais rassemblé ceux-ci sur ma table de travail et j'imaginais leur usage fatal.

Tout d’abord le billet. Tuer avec un billet ? Non pas, un billet diffamatoire, plein de bile et de haine, poli de mots choisis, qui entraîne, à coup sûr, le suicide de la personne visée, mais un billet de banque ! Peut-on encore embaucher un tueur à gage avec un billet de cent ? Non pas d’euros, mais de francs, et belges de surcroît ! S’il avait encore cours, deux euros cinquante, le prix d’une sucette. Non, vraiment non, pas de tueur à ce prix. Ou alors un gamin, âme innocente et naïve, encore que, certains sont cruels, mais à ce prix, quel jouet se laisserait tuer ? Peut-être faudrait-il rouler dans ses mains le billet, en faire une petite boule et étouffer la victime ? Lui faire avaler, de force, et la regarder suffoquer, comme un banquier repus, bourré, gavé, qui vient d’ingurgiter son dernier centime.

Non, vraiment non, le billet de cent francs belges n'est pas l'arme idéale et tout cela me semble bien improbable. À ce compte, plutôt utiliser l'enveloppe, c'est plus propre. Une belle, une grande enveloppe à bulles, de celle qui permet d'envoyer de gros livres. Son extérieur kraft marbré, lui donne un air élégant. À l'intérieur, les bulles de plastiques, bien alignées, sont fantastiques. Bien évidement, même avec son format XL, la victime doit avoir une petite tête, un marmot idéalement. Lui offrir l’enveloppe comme un jouet, qu'il l'utilise pour se cacher. Puis, lorsqu'il ne vous voit plus, serrer et attendre. Pas de bruit ni de crachats, étouffé c'est gagné. Mais non, je ne suis pas un tueur d'enfant, quand même ! Je ne ferai pas n'importe quoi pour mon maître. Voyons donc la suite.

Un clou, oui d’accord, mais quel clou ? Pas le clou du spectacle, il faut une mise en scène. La victime assiste à la représentation, et boum ! D’un coup elle s’écroule, frappée dans le noir ou bien encore de stupeur, le cœur arrêté. Non, c’est trop compliqué, faisons simple, un clou comme celui que je tiens en main : un clou de charpentier. Avec ses quatorze centimètres, il dépasse de la paume. Et son élégante pointe torsadée, bonjour les dégâts. Il me reste à trouver la proie, pourquoi pas un vampire ? Bonne idée, non ? Personne ne les aime, je serais vite pardonné. Ah non, il faut du bois, le métal, ça ne fonctionne pas. Dans ce cas je ne vois que la croix, mais crucifier chouette ou chauve-souris, ça ne se fait plus, et si c’est un homme, il risque de devenir célèbre. Mauvais pour la discrétion.

Il me reste encore le chronomètre. Quelle idée bizarre ! Faut-il tuer le temps ? Mais le temps ne meurt jamais, et la consigne est précise : il faut un mort. L’objet pourrait-il tuer ? Acheté hier au supermarché, cet article de sport n'a rien à voir avec un chronomètre de marine ou de chemin de fer. En main, c'est comme un œuf. Sa coque en plastique paraît bien fragile et son poids si léger que même utilisé comme fronde, il ne pourrait au pire, qu’assommer la victime. Encore faudrait-il, que je sache le lancer. À moins d’avoir recours au cordon ? Lui passer la dragonne au cou, tourner le chronomètre, serrer, serrer, et même pour être plus propre, avant de serrer, se servir de l’enveloppe. Et oui, pourquoi pas !

C'est à ce moment précis, alors que mon esprit, concentré sur ce scénario, avait trouvé une piste pour satisfaire le maître, qu'elle est entrée. Elle est d'abord passé devant moi tout doucement. S'est arrêtée à droite, puis est repartie à gauche, avant de s’arrêter là-devant. Me narguant, heureuse d'avoir perturbée mes pensées. Elle reprit son mouvement, ondulant dans la lumière, virevoltant devant mes yeux. Hypnotisé, j'avais déjà oublié mes idées.

Elle était maintenant à ma table. Elle passait d'un objet à l'autre comme si de rien n'était. Je la suivais du regard, pariant intérieurement sur le prochain qu'elle allait tripoter. Le chronomètre que je venais de reposer semblait avoir sa faveur, elle le suçait avec application. Puis elle passait au clou, suivant lentement la courbe de sa pointe. Arrivée au bout, elle évitait l'enveloppe, flairant peut-être le piège, pour palper le billet.

Par mes gestes, excédé, je tentais de mettre fin à son manège, mais rien ne semblait la troubler. Pour finir de me séduire, ou bien se faire pardonner, elle se posa alors un instant sur ma bouche.

Je tentais désespérément de reprendre le fil de mon raisonnement : enfermer la victime dans l'enveloppe puis l’assommer avec le chronomètre ou bien lui faire avaler le billet, puis lui percer le cœur avec le clou, mais à quel moment devais-je serrer le cordon ? Je mélangeais tout.

Soudain, elle s’immobilisa sur ma main gauche. Alors d’un coup sec, de la droite, je la claquai. Relevant la main, je constatai : la mouche était bien morte, j’avais terminé mon devoir.

Ah oui, je ne vous ai pas dit, le cinquième objet, je l’ai en main. En fait, tout ceci n’a jamais eu lieu que sur du papier. Et c'est mon stylo-plume qui, conformément à la consigne d’écriture, a commis ce meurtre. Voilà je n'ai plus qu'à signer !


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wiki/experience/ecriture/mort_sur_commande.txt · Dernière modification: 2019/03/06 18:27 de bruno_genere