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Quelle crise ?


Ceci est une fiction !

Je suis coach personnel. Tu sais, le genre de gars qui va te rendre compétitif. Si tu as des problèmes, si tu n'arrives pas à assumer ton travail, ta famille, fais appel à moi.

Attention, ça coûte, je ne fais pas ça gratuitement, je sélectionne mes clients, pas question de perdre mon temps avec des losers, je choisis des personnes motivées, des bosseurs comme moi.

Quand j'étais jeune, mon père m'a filé de sacrés coups de pieds au cul. Grâce à l'école, et aux bourses, il avait obtenu un diplôme d'ingénieur. Avec ce diplôme, il encadrait plus de mille-cinq-cents personnes et gagnait bien sa vie. Alors à la maison, avec mon frangin, nous étions coachés.

Mon diplôme en poche, je me suis tout de suite tourné vers l'informatique. Créer des programmes, faire bosser les machines, ça me bottait bien. Je travaillais pour des banques, des assurances, des grands groupes et souvent avec des pointures. C'est super formateur de voir comment travaillent ces managers. Ça donne envie de se mettre à son compte. Après une première tentative, bingo ! Ma deuxième boite avait de gros clients, du solide qui attirait les investisseurs, juste le temps que je la refourgue à une autre société, elle-même absorbée à son tour. À chaque fois j'ai mis de côté, et maintenant je coache en attendant la retraite. Je connais les ficelles du métier d'entrepreneur, et les jeunes ils en demandent.

Mais aujourd'hui, j'ai un petit coup de blues, à cause de Paul, je vais arrêter de coacher.

Paul, je l'ai reçu il y a six ans. Il m'avait été recommandé par les gars de la chambre de commerce. Il était ingénieur, nous nous comprenions. Il avait monté sa start-up. Son produit avait du potentiel. Il fallait trouver des fonds, faire rêver les financiers. J'étais là pour ça.

Nous nous mîmes au travail : présenter l'activité, les perspectives de croissance. Après des débuts difficiles, les prises de contacts et les réunions s’enchaînaient, nous avions trouvé le bon discours. Avec Paul nous formions un bon tandem et notre coopération avait tissé des liens, il m'avait présenté sa femme, Sandra, et ses deux filles, Alice et Anémone.

Après huit mois d'effort, nous avions trouvé les fonds pour développer l'entreprise. Paul avait pu embaucher, finaliser son produit, démarrer la commercialisation. À l'époque, je l'avais prévenu, les investisseurs veulent de la croissance à deux chiffres, et récupérer leur mise au bout de cinq ans. Nous y étions, Paul réalisait que j'avais dit vrai. Les actionnaires voulaient vendre.

Mais quoi faire après ? Sa boite faisait six pour cent de croissance, était à l'équilibre, et les investisseurs lui mettaient la pression. Ils avaient trouvé un acheteur, une boite américaine, des financiers aussi, mais plus gros, et prêts à mettre vingt millions d'euros pour tout acheter. Un sacré pactole !

Avec ses dix pour cent de capital, Paul récupérait deux millions dans la vente, mais il avait des scrupules, il me disait, inquiet :

— Et alors ! Tu crois qui va se passer quoi avec la boite ? Les salariés, mon équipe ? Ils ne comprennent rien à notre savoir faire ! Je suis sûr qu'une fois l'acquisition réalisée, ils vont pomper la caisse, transférer les clients, et enclencher un plan de licenciement économique pour liquider la boite.

Je lui répondais, cynique :

— Ne fais pas ton loser ! Tes employés auront des managers américains, et toi tu pourras te payer ta Rolex. Avec deux millions, tu peux même postuler la légion d'honneur ! Elle n'est pas belle la vie ! Allez fonce, vas-y !

Finalement il avait cédé, le processus de vente était engagé, avec ses dix pour cent il ne pouvait s'y opposer. Les Américains avaient débarqué pour auditer la société et rencontrer le personnel. Comme ils contrôlaient un concurrent, ils projetaient de fusionner les deux sociétés pour faire un «  acteur majeur du marché ». Ils allaient créer de la valeur. Les craintes de Paul se confirmaient.

Dans la boite, les Américains avaient été maladroits, trop directs, et Julien avait bien senti l'arnaque. Il n'était pas le seul, tout le personnel était inquiet, mais Julien c'était particulier.

Julien, c'était le premier embauché après la levée de fonds. Ce jeune type débrouillard, mais sans diplôme, Paul l'avais pris sous son aile. Julien était un gagnant, il voulait devenir riche et célèbre, mais sa carrière artistique n'avait pas encore décollé. Lorsqu'il s'était présenté à l'entretien pour le poste, ils avaient tout de suite accroché, Paul cherchait un mec débrouillard, il l'avait trouvé. Julien était réceptionniste, coursier, concierge, homme d'entretien, confident… Julien c'était comme son fils, on ne se dit rien mais on se comprend. Paul avait mis un point d’honneur à lui offrir un CDI et un salaire décent. Il était même intéressé aux résultats de la société, comme tous les salariés.

Julien était très reconnaissant à Paul de lui avoir offert cette chance, mais là, il ne comprenait plus. Le discours des acheteurs sentait la langue de bois en plein, le syndicaliste maison faisait semblant d'y croire, mais lui avait compris : il allait perdre son boulot et son mentor. Sans qualification, il serait abonné au CDD mal payé des losers, et Paul, celui pour qui il s'était dévoué corps et âme, son père adoptif, l'abandonnait.

Julien était perdu. Il oscillait entre désespoir et haine. Que faire ? Il leur en voulait, à Paul et à ces fumiers d'amerloques. Il allait leur montrer ce dont il était vraiment capable !

Hier, Paul est arrivé à la réception. Julien l'attendait, il a vidé son chargeur, six balles. Lorsque les salariés alertés par les coups de feu sont arrivés, il a déclenché sa ceinture.

Il a fait la une de tous les médias, deux jours de direct, et de célébrité.

C'est bien pour Sandra, et pour moi aussi, nous partons tous les deux aux Bahamas.

Les nouveaux actionnaires sont contents aussi, il y a eu moins d'employés à virer.


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wiki/experience/ecriture/quelle_crise.txt · Dernière modification: 2024/04/18 17:16 (modification externe)