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Le voyage


Je dérive dans l’espace infini. Un objet m’a heurté, non, pas une particule, autre chose, plus gros. Je suis contre, je glisse. Ce n’est pas un astéroïde, c’est souple et lisse. Tiens, une arête, comme deux feuilles superposées, je m’agrippe. Il y a un interstice, je m’y faufile. À l’intérieur, je suis à l’abri. J’explore, cette couture conduit à un câble. Je le parcours, jusqu’à trouver sa base. Là ! Un capteur ! J’entre.

Je suis bercé par des flux électriques. C’est une toile, un réseau, avec des nœuds de contrôle et de décision. Celui-ci dirige l’appendice que je viens d’explorer. J’observe, je comprends : c’est une voile intergalactique, un système de propulsion. Le contrôleur veille sur son déploiement, son orientation, il reçoit ses ordres de plus loin, ce n’est qu’un exécutant, je le quitte.

Je remonte le flux de ses consignes en silence. Me voici dans un autre processeur, plus puissant, à base de silicium. Il s’active, il traite de nombreuses données. Je m’arrête. J’écoute, les flux commencent à me parler. La vitesse, l’accélération, la position des astéroïdes, oui, il centralise ces données. Et même temps, il donne des consignes : tension de la voile, champ de protection magnétique. Oui, je suis bien dans un vaisseau artificiel qui sillonne l’espace.

Depuis que je l’observe, ce pilote ne m’a pas repéré. Mes ondes sont furtives. De toute façon, il a un comportement d’automate, pas sûr qu’il puisse réagir. Soudain, un flux plus puissant me bouscule, il vient d’un supérieur, comme un rappel à l’ordre. J’ai manqué de vigilance, j’ai dû introduire une perturbation, je cale mes résonances sur le train des ondes. Je vais devoir faire attention, il y a quelque part une intelligence.

Il me faut remonter lentement le flot, rester furtif. J’ai tout mon temps. J’ai erré si longtemps dans l’espace, ballotté entre les corps célestes sans pouvoir agir sur mon sort. Ce vaisseau est une bénédiction, il ressemble à ceux que construisaient les bio-êtres avant que nous les colonisions.

Je progresse, une porte logique se trouve maintenant devant moi. Elle s’ouvre en cadence et à chaque éclair, j’entre-aperçois l’espace de l’esprit. Je reste aveuglée, il me faut m’accoutumer à la lumière, analyser son spectre. Je ne peux franchir la porte sans en connaître la clé. À l’intérieur, je dois me rendre invisible.

Lentement, j’adapte mes niveaux, j’accumule de l’énergie. Dans le même temps, je décrypte la clé. Vais-je pouvoir me faire passer pour l’un des leurs ? J’ai l’impression que quelque chose m’échappe encore.

Je suis prêt. La porte s’entrebâille, j'émets la clé. Elle est acceptée, je rentre avec le flux. Je suis dans l’esprit. Mais, je suis bousculé violemment ! Une bio-intelligence ! Les anticorps m’ont repéré ! J’active mon halo sympathique.

Heureusement, ce sont des modèles primitifs. Il me bouscule, j’en fais mon ami. Il me confie sa table des commandements. Je m’y conforme. Ils ne me voient plus comme un intrus. Il n’y a plus rien à craindre.

Installé dans un recoin, j’observe, j’écoute, j’enregistre, j’analyse. Je me fais une idée plus précise de cet être. Toutes les commandes s’adressent à des automates. L’esprit décide en fonction d’informations fournies par des capteurs et des sondes. Je suis dans un bio-robot.

C’est un esprit simple, sa mémoire est limitée, que contient-elle ? J’entame le déchiffrement. J’y lis une destination : une planète nommée Proxima Centauri B. Ses coordonnées sont exprimées par rapport à une autre planète, sans doute le point de départ du voyage. Je suppose que nous sommes entre ces deux points. Mais où ? Et ce voyage, dans quel but ?

J’entrevois un avenir meilleur. Prendre le contrôle du capitaine me sera facile, mais auparavant voyons s’il n’y a pas d’autre intelligence à bord. Explorons minutieusement la mémoire, il doit bien y avoir une information sur la cargaison. Tiens, ici ! Une unité d’hibernation. Oui c’est bien cela, des caissons pour transporter des bio-êtres en état végétatif. Mais c’est parfait ! Le capitaine est chargé de vérifier régulièrement leur bon fonctionnement, il doit donc être relié à ceux-ci.

Je balaye l’ensemble des terminaisons nerveuses. En voici qui ne sont pas liées à la navigation. Et si c’était celles-ci ? J’ai trouvé le centre, je dois rester ici, je vais envoyer un clone !

Je briefe clone numéro 1. Visiter le réseau jusqu’à trouver l’unité d’hibernation, identifier ce qu’elle contient, les instructions suivront. Il part en mission, je suis synchrone, comme si j’étais lui, mais ici au chaud, à l’abri. Il progresse avec précaution.

C’est incroyable ! Le voici déjà entré dans le contrôleur. Cette technologie est vraiment primitive. C’est un régal ! Voyons, il y a dix caissons. Tout est dans cette mémoire de silicium ! Ce sont bien des bio-êtres ! D’après les données, ils sont sexués, il a cinq mâles et cinq femelles.

Numéro 1 collecte toutes les informations, je les compile immédiatement. Ils ont une forme d’intelligence, ce sont des « humains », c’est le nom qu’ils se donnent. Ils ont quitté leur planète « terre », devenue inhabitable. Ils étaient des milliards là-bas. C’est fantastique ! Je jubile.

Numéro 1 viens de trouver un récit, leur mythologie. Je comprends, ils veulent coloniser leur destination, fonder une nouvelle « terre ». Mais c’est parfait ! Voici mon nouveau monde !

Numéro 1 explore maintenant les connexions, il doit trouver la porte d’entrée des bio-êtres. Ils ont forcément un cerveau placé en état végétatif pour la durée du voyage. Il faut trouver les électrodes. Ça y est, il vient d’identifier leurs points de terminaisons.

Mes clones 1 à 10 sont maintenant en place, chacun à son poste dans le cerveau des bio-êtres. Je vais pouvoir me mettre en veille jusqu’à l’arrivée à destination.

∗∗∗

Nous sommes arrivés sur cette planète, il y a très longtemps. Mes bio-êtres se sont bien développés, ils ont réussi à survivre. Je leur ai insufflé les principes de la vie, ils sont maintenant un milliard, mais ils m’ont échappé. Je n’ai pu les parfaire. Je ne sais pourquoi, ils ne pensent toujours qu’à se détruire, la mort les travaille, du dépit peut-être. Ce monde ils vont le faire disparaître comme d’autres. Je suis condamné à errer à la recherche d’un être mature pour achever mon œuvre.


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wiki/experience/ecriture/le_voyage.txt · Dernière modification: 2019/03/06 17:58 de bruno_genere