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Gloobal Sweet Home


— Désolés, nous sommes désolés. Vos performances professionnelles sont insuffisantes ce trimestre, cela fait donc neuf mois que vous êtes sous les standards de la compagnie. Vous allez devoir nous quitter.

— Mais ! J’ai fait tout mon possible ! Vous ne pouvez pas me virer comme cela ! Cela fait trente ans que je travaille pour vous ! J’ai été un employé d’exception pendant plus de quinze ans !

— Nous sommes désolés ; la compagnie doit s’adapter, et vous aussi. Vous travaillez dur, mais vos performances sont dépassées. Cependant, comme vous avez bien servi la compagnie, nous vous offrons un départ de première classe. Vous pouvez donc regagner votre poste de travail qui vous donnera la procédure à suivre.

L’évaluator™ a parlé, inutile de discuter avec le robot. Peter comprend maintenant pourquoi ce matin ses collègues étaient silencieux et distants. Il s’en veut, en travaillant douze heures par jour et non dix, il aurait pu éviter la catastrophe. À deux ans de la retraite, Gloobal va le renvoyer pour résultats non conformes.

Il s’extrait de la cabine aveugle, sonné. La lumière blafarde de l’open-space le saisit. Il parcourt en titubant les mètres qui le séparent de son poste.

Il s’assoit, son écran affiche un message :

« Désolé, nous n’avons plus de mission à vous confier. Prenez vos affaires, puis empruntez la navette Gloobal qui vous conduira à votre domicile. Vous êtes autorisé à rester une nuit, demain matin vous aurez quitté les lieux. Nous vous souhaitons une bonne soirée. »

La climatisation ronronne, il frissonne. Ses collègues rivés à leur écran, effleurent leurs claviers. Il n’existe plus, son corps se lève, emplit machinalement son sac des quelques babioles posées sur le bureau. Il se dirige vers la sortie. La navette automatique l’accueille. Il est son unique passager, elle démarre aussitôt. Prostré sur son siège, il se laisse bercer. Que va-t-il devenir ? Et encore il n’a pas été viré tout de suite, il va pouvoir récupérer quelques affaires dans la maison, mais demain matin où ira-t-il ?

« Je vous souhaite une bonne soirée », le message le sort de sa torpeur, devant ses yeux sa Gloobal Sweet Home™ : la maison de la compagnie, réservée aux employés d’exception, totalement automatisée, à l’entier service de son locataire. Peter pose les pieds à terre. La navette repart aussitôt, sans prononcer le rituel : « À bientôt ». Il se dit qu’elle ne reviendra pas. Comment fera-t-il demain, sans domicile, ni voiture ?

Inquiet, il marche vers la maison, elle le laisse entrer. Peter est soulagé, ce soir, il n’est pas sans abri. Il pose son sac, la voix du majordome se fait entendre : « Bonsoir Peter, nous sommes désolés de ce qui vous arrive, nous ferons tout notre possible pour rendre dernière cette soirée agréable, nous vous préparons un bain pour vous détendre. » « Dernière soirée », Peter frémit, lui qui a consacré tant de jours et de nuits à cette compagnie, elle le plaque sans remords. À l’étage, il entend l’eau qui commence à couler, il se dit qu’il vaut mieux suivre la suggestion, il monte. En haut de l’escalier, il entend la porte d’entrée se verrouiller.

Le bain est à la bonne température, la mousse onctueuse. Il s’y plonge, se détend, l’espace d’un instant ne pense plus à son avenir. Il saisit la brosse et se met à frotter. Curieusement les poils l’effleurent, une caresse. Il se pince, rien, se griffe, rien encore. Une angoisse l’étreint, il sort du bain d’un bond.

— Que se passe-t-il ? Que contient cette eau ?

— En ces circonstances, nous avons ajouté un décontractant inoffensif pour mieux vous relaxer.

— Vous auriez pu m’informer !

— Vous ne nous avez rien demandé. Nous ne faisons qu’appliquer la procédure la plus adéquate.

Peter se calme. Ce ne sont que des robots, ils sont programmés pour respecter la vie humaine. Circonspect, il se sèche et enfile son peignoir.

— Nous vous informons que votre cocktail favori est maintenant servi au salon comme d’habitude.

Peter descend

— Ouvrez les baies.

— Nous sommes désolés mais, dans votre état psychologique, la piscine est déconseillée.

— Je suis donc enfermé.

— Non, en traitement, nous nous occupons de vous, nous allons vous préparer votre dîner préféré.

Peter se rassure. Peut-être cherchent-ils à le protéger contre lui-même ? Il se dit qu’il ferait mieux de se laisser faire, après tout il y verra plus clair demain.

Le cocktail est excellent. C’est bien sa boisson attitrée, mais la note finale est légèrement différente. Après trois gorgées, il a des doutes, cette euphorie soudaine n’est pas due à l’alcool. La voix du haut-parleur lui semble plus amicale, pourtant ce majordome n’est qu’une machine.

— Votre dîner est servi.

Peter se lève et passe dans la salle à manger. Le repas est effectivement délicieux, ses mets préférés sont accompagnés de vins et de musique assortis. Durant le dîner, il ne remarque aucun arrière-goût suspect, tout semble normal, il est aux anges ou presque.

— Nous espérons que vous avez passé un bon moment. Pour conclure ce repas, nous vous proposons de passer au salon où une liqueur digestive vous est servie.

— Mais, je ne prends jamais de digestif !

— Oui, mais vous êtes en traitement.

— De quel traitement parlez-vous ? Ouvrez donc cette fenêtre que je respire !

Après ce repas, Peter se sent bien, il est euphorique. Finalement, partir c’est une opportunité ! Il veut sentir un vent d’air frais sur sa peau, demain il sera dehors, libre, il veut s’habituer à cette sensation dès maintenant ! Peter s’avance vers la baie, impossible de la déverrouiller. Il prend une chaise et la jette contre la vitre, rien, pas une fêlure.

— Ces baies sont conçues pour résister à un séisme de force 7. Allez boire votre liqueur.

Peter se saisit de la statue de bronze et refait une tentative. La vitre se fend mais ne rompt pas. Les volets métalliques se mettent à descendre automatiquement, plongeant la pièce dans la pénombre.

L’euphorie cesse d’un coup. Il n’ira jamais dehors, à l’air libre. Elle ne veut pas le lâcher.

« Allez boire votre liqueur, allez boire votre liqueur », répète maintenant la voix en boucle.

L’angoisse monte, c’est cela, cette liqueur est un poison, elle préfère le voir mort que de le perdre.

« Vite, vite, trouver une issue », Peter court de pièce en pièce. Tout s’assombrit, le dehors n’est plus qu’un souvenir, haletant, hésitant, il revient à son point de départ, il ne sait plus où aller. Au plafond, un drone araignée lance son filet. Les mailles en kevlar l’enveloppent instantanément. Surpris, il chute sur le sol, immobilisé, mais conscient. Que faire ? Il est prisonnier ! Attendre ? Peut-être le libérera-t-elle demain matin ? Il est épuisé.

Un bruit familier venant de la cuisine lui fait tourner la tête, c’est bien lui : le robot nettoyeur. Au ras du sol, sa silhouette de tapir est impressionnante. La trompe en avant, il inspecte les lieux. Il vient sans doute aspirer les miettes du repas. Pourtant, il ignore le sol sous la table et vient vers lui. La trompe le palpe avec soin, puis, sans hésiter, s’introduit dans une des mailles du filet.

Peter sent comme une caresse, au bas du dos, non, entre ses fesses ! Il réalise, la trompe lui pénètre l’anus. Les yeux exorbités, il ne sent rien, mais voit son ventre se creuser. Le robot lui aspire les boyaux, il hurle d’effroi.

Pourtant, tout est propre, tout se passe à l’intérieur. Le ventre vidé, la succion continue, les viscères sont broyés, le sang immédiatement pompé. Peter est déconnecté, son corps se dégonfle comme une baudruche.

∗∗∗

« Bonjour et bienvenue dans votre Gloobal Sweet Home™ »

En entendant ces mots, John est ému. Après sept ans d’effort, de travail acharné chez Gloobal, il a enfin réussi à réaliser son rêve : habiter « la maison qui va au-delà de vos désirs »™, la maison réservée aux employés d’exception.


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wiki/experience/ecriture/gloobal_sweet_home.txt · Dernière modification: 2024/04/18 17:16 (modification externe)